Roman grec et poésie
UMR 7320 'Bases, corpus, langage' (université de Nice)
EA 3816 ‘Formes et représentations en linguistique et littérature’ (université de Poitiers)
Michèle Biraud
Michel Briand
Colloque "Roman grec et poésie"
Université de Nice, 21-22-23 mars 2013
Colloque organisé par Michèle Biraud, de l'Université de Nice
(UMR 7320 'Bases, corpus, langage') et de l'Institut Universitaire de France,
et par Michel Briand, de l'Université de Poitiers
(EA 3816 ‘Formes et représentations en linguistique et littérature’)
Appel à communication
La poésie et le roman sont-ils deux genres hétérogènes ? On tend ordinairement à penser que les Grecs auraient répondu qu'il existe des genres poétiques et que le roman est une pratique d'écriture sans dénomination générique établie qui associe une construction dramatique à une mise en forme narrative en prose. On a insisté sur les caractéristiques rhétoriques de cette prose, et sur des réminiscences locales de textes poétiques, sous la forme soit d'une situation, d'un motif commun avec un poème des siècles passés, soit d'une citation enchâssée dans la trame du récit. Est-ce à dire que le roman est un analogue en prose de la poésie épique ou dramatique? Et pourquoi s'est-il créé et développé jusqu'à devenir un des principaux genres de fiction de l'époque impériale ?
La composante poétique du genre romanesque doit-elle son émergence au dialogue des arts, tel qu’il s’est développé, dès l’époque hellénistique, entre les différents genres poétiques, entre poésie et musique, poésie et arts plastiques, histoire et fiction tragique ou épique, musique et arts du spectacle ?
Elle a certainement été favorisée par le rapprochement entre prose et poésie qui s'opère aux premiers siècles de notre ère. Le brouillage des frontières génériques que l'époque hellénistique avait réalisé entre les différents genres poétiques s'étend à l'époque impériale entre les genres de la poésie et ceux de la prose. Le constat de Denys d'Halicarnasse qu'une ode de Simonide est de la belle prose (La composition stylistique, VI, 26, 16) et le déclin des genres métriques traditionnels doivent être rapprochés du fait que la prononciation du grec a évolué à partir du début de l'époque hellénistique : la perte progressive des oppositions de quantité dans la pratique ordinaire de la langue a fait reposer la possibilité d'une lecture métrique sur une diction de plus en plus surannée. Pour la masse des lecteurs, la spécificité de la poésie ne repose plus sur sa base traditionnelle, le mètre, mais sur des figures, les images, les assonances et allitérations... Autant de procédés que l'on retrouve dans la prose gorgianique, qui s'épanouit précisément à cette époque dans l'asianisme et dans les textes épidéictiques de la Seconde Sophistique.
De telles mutations n'ont pu qu'aboutir à une différenciation de la poésie et du poétique, dont il serait intéressant d'examiner les modalités d'application, en particulier dans les romans.
Nous proposons, sans exclusive, trois axes principaux d'investigation des rapports entre roman et poésie:
- Repérer les affleurements des intertextualités formulaires, thématiques et génériques, et étudier leurs usages:
Il est déjà apparu que tel ou tel des romanciers pratique les citations exactes (notamment celles d’Homère dans le roman de Chariton), les adaptations (de Sapho, d’Euripide...), les allusions à des poèmes précis, à des mythes poétiques, utilise l’onomastique d’une façon qui reste encore en partie à décoder. On n’a pas manqué de noter également, ici ou là, des thèmes ou des situations partagées entre tel ou tel roman et différents genres poétiques : l’épigramme érotique, l’épigramme satirique, la poésie mythologique alexandrine, la poésie lyrique ou mélique, l’épopée, la comédie ou la tragédie. Mais comment fonctionnent-ils dans l’économie d’un roman ? L'expression des émotions est un point commun entre ces deux domaines textuels, mais les formes de son énonciation sont-elles similaires ? Est-ce le même lyrisme ? De quelle façon plus ou moins détournée une situation typique de la comédie ou de l’élégie est-elle réemployée (par exemple le paraklausithyron, par Chariton en I 3) ? Un inventaire de ces récurrences, en rapport avec leur mode d’utilisation (imitation / confrontation / transposition....) et avec l’observation des lieux narratifs, descriptifs ou discursifs où elles se produisent, pourrait révéler des réseaux de signification méconnus, peut-être liés à des perspectives énonciatives particularisées.
Dans les romans dont on pense qu’ils peuvent avoir une visée au moins en partie ludique ou ironique, comme ceux d’Achille Tatius et de Lucien, n’y a-t-il pas des reprises de thèmes, de situations, de principes d’écriture, faisant écho à des genres poétiques pratiquant l’ironie ou la satire, tels que le mime, l’épigramme satirique, les iambes... ? N’y a-t-il pas dans ces œuvres d’Achille Tatius et de Lucien également de la parodie poétique (par exemple, la description du jardin de Clitophon est-elle une ekphrasis poétique ou une parodie d’ekphrasis poétique ?). Et même dans le roman de Longus, l’adaptation poétique est-elle sérieuse, ou ludique, ou ironique ?
- Etablir quelques principes d'une poétique formelle de la prose:
Certains passages de ces romans font-ils un usage des sonorités (assonances, allitérations) et des rythmes (notamment des isosyllabies et des clausules) qui les apparente à la poésie ? Et de quels échos rythmiques le poète entend-il jouer ? Ceux de la métrique traditionnelle ? Ou ceux qui sont liés à la primauté de l’accent d’intensité qui est apparu par évolution phonétique au moins dans la langue populaire à la fin de l’époque hellénistique ? Le rapprochement s’établit-il plutôt avec la poésie ou avec la rhétorique ?
Ceci conduit à s’interroger sur les finalités des auteurs de ces romans. Ecrire une narration en prose ? Ou un poème narratif en prose ? Ou une prose où la rhétorique s’élève par moments, pour accompagner un thème spécifiquement poétique, que ce soit dans le registre de l’élégie amoureuse ou dans celui de la satire morale ou sociale, à un niveau d’élaboration proprement poétique ?
- La poésie comme fiction, la fiction romanesque comme poésie:
Tout en entretenant avec le récit historique des relations complexes, en particulier quand le discours d’enquête, d’abord perçu comme sérieux et référentiel, s’intéresse à l’exploration du paradoxal ou du merveilleux, et fait œuvre de fiction, ou quand, à l’inverse, le roman s’appuie sur de forts effets de réel, historiques ou contemporains, la narration romanesque est aussi, par certains aspects, un analogue en prose de la poésie épique ou dramatique d'époque archaïque, classique ou hellénistique, soumis au contexte social et culturel très différent qu'est celui de l'empire gréco-romain, en particulier dans le cadre de la seconde sophistique, puis dans la première prose chrétienne. À cet effet de recomposition générique (ou de transgénéricité) s'ajoutent les liens tendus de cette littérature grecque avec la poésie et le roman latins. Enfin, la relation entre le roman ancien et la poésie dépend de ce que l'on désigne comme poésie, et on peut insister : d'une part sur la poésie comme création artistique et artisanale (figurée comme tissage, orfèvrerie, architecture, ou encore danse, spectacle, chant, rituel, thérapie …) et sur les usages que peut faire le roman grec ancien de ces figures, intégrées dans la trame du récit ou, à un niveau supérieur, définissant le fonctionnement général du récit en prose, sa production et sa réception, en termes d’intensité sensorielle ou imaginative, par exemple ; d'autre part sur la poésie comme invention et fabrication de mondes possibles, fictionnels (par exemple celui de la pastorale, de l’utopie, de l’histoire stylisée), avec lesquels les mondes du roman sont en rapport d'émulation explicite. Pour résumer, il s'agirait de s'intéresser aux relations de la poésie comme fiction, aux deux sens principaux du terme, et de la fiction (romanesque) comme poésie. Et dans ce cadre les apports de la pragmatique textuelle et spectaculaire, de l’anthropologie culturelle, de la poétique cognitive ou logique et, enfin, de la rhétorique / stylistique contemporaine, peuvent être des plus utiles.
Ces problématiques s'appliqueront au corpus textuel grec suivant:
-
les romans des premiers siècles de notre ère (aussi bien ceux que nous connaissons en intégralité que les fragments)
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les premières proses narratives chrétiennes
-
les textes narratifs prosimétriques ou versifiés qui sont contemporains de ces romans, ou ultérieurs
Cet appel à communication s'adresse non seulement aux spécialistes du roman, mais aussi aux chercheurs dans le domaine de la poésie archaïque, hellénistique, impériale ou tardive : leurs compétences permettraient probablement de déceler de nouveaux points d'intertextualité thématiques ou génériques entre les deux domaines. Appliquer aux romans grecs les nouveaux regards portés au cours de ces quinze dernières années sur les genres poétiques dont se sont inspirés les romans, et notamment la poésie hellénistique, serait aussi sans doute riche d’enseignements. La production romanesque n'a peut-être pas non plus été sans influence sur les poèmes narratifs contemporains ou postérieurs.
Les principales langues du colloque et des actes seront le français et l'anglais.
Les propositions de communication, consistant en un titre accompagné d'un résumé de 10 à 20 lignes en français ou en anglais, devront être envoyées avant le 30 mai 2012 dans un document PDF anonyme pour être examinées par un comité de sélection; l'e-mail de présentation devra indiquer le nom et le prénom de l'auteur, son université et/ou son centre de recherche, le titre complet de la communication, et porter comme objet 'RomanPoesie'; l’étiquette du PDF devra porter la même mention suivie des initiales de l'auteur. L'envoi sera fait conjointement à <biraud@unice.fr> et à <michel.briand@univ-poitiers.fr>.
Les contributions au volume des Actes devront être envoyées dans un délai de deux mois après le colloque et seront soumises au comité de sélection. Le manuscrit devrait être remis à l'éditeur à la fin de l'année 2013.
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